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Les ordres imaginaires

Recherche théorique initiée en 2016 et en cours de développement

Finalement, que notre civilisation s’effondre en 2030, que l’écroulement soit progressif ou qu’il n’ait jamais lieu n’est peut-être pas so important. Le plus important c’est qu’on y croie. Or les croyances façonnent l’humanité. Ce qui se joue aujourd’hui pourrait ainsi nous faire entrer dans un nouvel âge et déterminer notre destin collectif pour plusieurs siècle.

 

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Fiction en partage

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Dans ses deux ouvrages majeurs, Sapiens et Homo Deus, l’historien Yuval Noah Harari raconte comment l’invention de mythes collectifs fut la clé du succès et de l’évolution de notre espèce. Depuis la «révolution cognitive» survenue il y a 70000 ans, Homo sapiens a su s’imposer grâce à un atout inédit dans le monde animal : la capacité de parler de choses qui n’existent pas. Cela a permis à un grand nombre de collaborer de façon complexe et de savoir s’adapter rapidement. Les chimpanzés ne vivent que par groupe de quelques dizaine d’individus parce que la cohésion de la tribu implique que chacun se connaisse intimement, ce qui ne permet pas d’excéder 150 individus, explique Harari. Mais la croyance en des mythes communs a permis à de millions d’hommes de coopérer sans se connaître, ni avoir besoin de se faire confiance, mais simplement parce qu’ils croyaient aux même divinités tribales, à la même nation, à Pharaon, aux dollars ou aux droits de l’Homme, autant de fictions inventées et partagées par Sapiens.

 

Ces « ordres imaginaires », ces « toiles de sens intersubjective », ainsi que les nomme l’historien, ont évolué pour accompagner chacun des grands âges de l’humanité.

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  • Pour les chasseurs cueilleurs du paléolithique, les mythes animistes prédominaient : l’homme pouvait parler aux pierres, aux arbres, aux ruisseaux et aux cerfs. Il n’était qu’un acteur parmi d’autres.

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  • Au néolithique, la révolution agricole mit l’homme au centre : il pouvait façonner la terre, les plantes et domestiquer les animaux. L’animisme céda donc la place aux religions théistes : la nature ne parle plus et l'homme y est supérieur, créé par un dieu ou des dieux qui dirigent le monde.

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  • Viens ensuite le dernier grand mythe, à la Renaissance, avec la « révolution scientifique » : Galilée et Christophe Colomb découvrent que la vérité n’est pas révélée dans un livre par dieu, mais s’acquiert par l’exploration et l’observation. Elle est en l’homme ce qui peut améliorer sa condition et ne court plus vers l’apocalypse biblique. Humanisme et progrès sont les nouvelles religions, ainsi que leur derniers avatars nés au XIXe siècle : le capitalisme et la croissance.

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Pour Harari, une religion « se définie par sa fonction sociale plutôt que par l’existence de déités. La religion est un récit qui englobe tout, conférant une légitimité surhumaine aux lois, normes et valeurs humaines. Elle légitime les structures sociales humaines en affirmant qu’elles reflètent des lois surhumaines. » Le communisme, le capitalisme ou le « droit-de-l’hommisme » sont ainsi des religions au même titre que le christianisme ou l’hindouisme.

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Mais quelles que soient les variantes adoptées au sein de l’humanisme, cette grande religion moderne est aujourd’hui ébranlée sur ses bases. La menace d’effondrement qui pèse sur l’humanité pourrait la pousser vers une nouvelle croyance. Après l’animisme et le théisme, de nouvelles questions existentielles vont-elles nous faire tourner la page de l’humanisme?

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« Système immunitaire de la planète »

 

Les penseurs de l’anthropocène accusent les excès de l’anthropocentrisme ; le progrès et la croissance économique sont pointés comme les responsables du réchauffement climatique, de la « sixième extinction massive » d’espèce et d’empoisonnement mondial au plastique et aux molécules chimiques de synthèses en tout genre. Ce qui pousse un certain nombre d’économiste à appeler, comme Serge Latouche, l’uns des principales voix du mouvement décroissant en France, à « en finir avec la religion de la croissance ».

 

Si le mythe du progrès en prend un coup, c’est aussi parce que la place singulière de l’homme au sein du règne animal n’a jamais été aussi contestée. Le discours antispéciste défendant le droit des animaux, cet « autre qu’humain », est notamment de pus en plus médiatisé.

 

Mais ces signaux faibles, catalysés par l’imaginaire de l’effondrement, sont-ils suffisants pour renverser un mythe ancré dans les esprits humains depuis cinq siècles? « Lorsque l’on a fait une expérience individuelle, sensorielle, qui alimente une croyance, cela devient très compliqué de la remettre en cause », observe la sociologue Romy Sauvayre, maître de conférences à l’université de Clermont Auvergne.

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